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Monsieur Saphir, je ne suis pas un bagage!

4 Juillet 2021, 17:14pm

Publié par Féli-icie

 

 

                                    Madame, Monsieur,

           Cette présente lettre pour vous faire part de mon mécontentement auprès de certains de vos services d’Air France, et notamment de Saphir – assistance PMR.

Avant toute chose, et parce-que « malheureusement » c'est le premier aspect que l’on remarque lorsqu’on me côtoie, je me permets de vous décrire une partie de ma situation qui cependant, est bien loin de me définir. Porteuse d’un handicap purement moteur, celui-ci se caractérise par des mouvements et des contractions involontaires, accompagnés de difficultés modérées d’élocution qui nécessitent simplement de prendre le temps de m’écouter. Ces signes qui  n’altèrent en aucun cas mes capacités intellectuelles, s’augmentent lors du moindre facteur émotionnel (stress, première rencontre, personne qui ne m’écoute pas, etc..). Ceux-ci peuvent donc considérablement obstruer la communication avec autrui. Je précise cependant que je ne suis pas sourde. Cette déficience avait visiblement été mentionnée sur « ma fiche saphir », sans doute pour faire allusion à mes difficultés d’élocution. Complètement absurde.

Il  s'avère que je demeure jeune femme, totalement autonome d’un point de vue mental. Je connais donc mes besoins et suis la seule responsable de ma vie. Ici, vous pourrez noter à quel point, il faut sans cesse se justifier pour exister simplement, être crédible aux yeux d’autrui, et pour se sentir respectée. Bienvenue dans le quotidien des personnes porteuses de handicap.

Mais trêve de justifications à pléthore, qui, j’espère, vous permettront de mieux comprendre l’ampleur des événements, venons-en aux faits !

Le 20 juin dernier, heureuse de quitter ma province Tourangelle pour quelques jours de vacances dans le sud, je m’apprête à prendre seule l’avion. Charles de Gaulles-Nice. J’en ai plus que l’habitude. Faire les choses seule, me déplacer seule, me faire comprendre seule, c’est aussi mon quotidien. Mon quotidien « joyeux ». Cependant, comme pour chaque aspect de ma vie, ce voyage m’a demandé une importante préparation en amont.  Notamment, je n’oublie jamais d’informer par écrit, toujours et encore, mes interlocuteurs, de ma situation de handicap et de ma capacité à...

Comme la plupart du temps, mon check-in se passe très bien. Je tombe sur une hôtesse adorable et à l’écoute. Pour des questions de praticité, et de facilité à la communication à l’arrivé – un « rien » peut devenir un stress, et parce que je sais parfaitement comment ça se passe -, je lui demande s’il est possible de laisser mon bagage accroché au fauteuil électrique et de mettre le tout en soute. Après s’être renseignée auprès de ses supérieurs, la réponse est positive. Génial ! Ma première interlocutrice me remercie même de toutes les explications données. J’en fais de même. Un peu de reconnaissance, ça fait du bien.

Toujours à moitié confiante, je me rends à l’espace qui m’est dédié – dans le cas où j’aurai oublié que j’étais handicapée. L’agent d’accueil vient subitement et  naïvement rigoler avec moi. Est-ce un art de mettre un peu d’aise là où il n’y a aucun « mal » existant ? Pour autant, je ne me formalise pas. L’heure tourne. Je suis à vingt minutes du décollage, et toujours pas de « Monsieur Saphir » à l’horizon. Sachant toutes les étapes qui me restent à passer, je commence à m’en inquiéter et à m’en agacer.

A peine bonjour, je le suis « comme un petit chien » pense-je souvent. Pas de transfert dans un premier fauteuil manuel Air France ?  Pour une fois, il ne me donne pas d’ordres. « Reste là ! Ne bouge pas ! Attends ! On attend ! Calme-toi (ce qui est pire que tout, à la vue de mon expression corporelle exacerbée.) » Sont régulièrement les mots de ces assistants – quel terme ! – au service – j’y crois encore – des personnes handicapées. Dans la même optique, j’en profite pour attirer  l’attention sur cette manie, certainement encore bien formaté, de bloquer systématiquement et machinalement les freins du fauteuil manuels alors que nous sommes installées dedans. Merci pour la liberté de voler.  Sommes-nous en plein dévers ? Mais non, j’oubliais. Nous pourrions nous échapper en courant.  L’image est cruelle, mais c’est un peu comme si je vous coupais les jambes en pleine « course ». N’ai-je pas également le droit de faire les "cent pas", même en fauteuil ? Ne pensez-vous pas que nous sommes déjà assez privés de notre mobilité corporelle pour que l’on nous enlève la liberté de rouler ?

Moment du contrôle. Toujours sans un mot, « Monsieur Saphir » s’apprête à décrocher mon bagage du fauteuil. Déjà assez tendue – étonnement, je suis dans un jour où la patience et l’indulgence me perdent rapidement. D’ailleurs, mon corps et ma voix ne tarderont pas à en faire les frais -, j’essaye par mon semblant de gestes volontaires, de le stopper et de lui expliquer la démarche prévue. Un dialogue de sourd s’installe. Il ne m’écoute pas, affirmant à ses collègues que je m’énerve. Rien de tel effectivement pour augmenter mon énervement. En moins d’une  minute, pas moins de six agents de contrôle autour de moi qui pensent me raisonner, pendant que je tente d’expirer clairement mes mots. En vain. De l’autre côté du portique, une agente complètement condescendante à mon égard – tout comme ses compères -,  s’en mêle. J’en deviens un peu vulgaire. Pardon encore ! Mais il devient harassant d'être infantilisée à tout bout de champs, sous prétexte que mon apparence ne réponde pas à la norme. A plusieurs reprises, on s’étonne que je sois seule et sans famille. Qu’aurait-on dit si c’était un client valide qui avait crié scandale ? Une personne en situation de handicap  est-elle forcément moins légitime que son concitoyen valide, dans l’expression de son mécontentement ? C’est vrai, dans ces cas-là, je demeure très impressionnante.   A bout de souffle et de nerfs, « je ne suis plus ». L’expression de plus en plus exacerbée de mon corps me fait perdre toute crédibilité. Posture très inconfortable. Je ne suis qu’un objet, qu’un électron libre dans la société, alors que je me sentais déjà considérée tel bagage. J’ai limite la tête qui tourne. Heureusement, je parviens enfin à tendre le message écrit de mon portable que j’avais composé au préalable, et qui de nouveau, informe de ma situation : pleins de mouvements incontrôlés mais autonome. Bon sang !  Parmi, les maigres lecteurs, une dame semble vraiment désolée.

Pour montrer ma bonne foi – si puis-je dire -, et espérer être davantage entendue, je finis par dire à « Monsieur Saphir » de décrocher mon bagage du fauteuil. Tant pis. Mon sac passe sur le tapis et évidemment, il est ouvert et expressément retourné. Des produits liquides se cachent à l’intérieur. Poubelle.  Un autre agent sorti de « nulle part » s’étonne que mon bagage n’aille pas en soute. C’est ce que j’essaye d’expliquer depuis « deux heures » mais « je m’app’Elle » toujours. C’est du grand n’importe quoi. « J’écrirai ! »

A bord, Monsieur m'installe sans se soucier une seconde de mon confort. Pas même un au revoir!  Heureusement, une belle rencontre consolatrice m’attend ! Encore une charmante et douce hôtesse qui recueillera les faits relatés pour en écrire aussitôt un rapport. Nous parlerons ensemble par intermittence, une bonne partie de mon voyage. N’est-il pas absurde de constater que des aides à la personne handicapée sont dans l’incapacité de prendre deux minutes pour établir un contact avec elle - je ne demande pas un débat philosophique -, tandis que les hôtesses n’ayant certainement aucune sensibilisation au handicap, vous considèrent tout à fait normalement et naturellement ?

Enfin, à mon retour, je serai accompagnée  à l’aéroport ! Comme une sœur qui accompagne sa sœur pour un dernier au revoir. Mais en tant que personne handicapée, dés que je suis en présence de quelqu’un, je demeure à nouveau et davantage réduite à mon état. Je n’existe plus en tant qu’être.  Encore. On s’adresse à « l’accompagnant », même lorsque je m’évertue à parler. On demande explication et confirmation à « l’accompagnant ». Qui suis-je déjà ? Ici, le trajet sera tellement « bien »  préparé, principalement entre mon proche et le « steward », que je serai accueillie à Paris par le « chef de la brigade pmr ». Suis-je à présent définie « cas difficile » ? « Vous êtes gentille ! » Me lance bêtement « Madame Saphir », alors que la  communication est inexistante. « Vous aussi ! » Lui répond-je bêtement, levant les yeux au ciel.

Comme vous l’aurez compris, question de temps ou pas, question de Savoir-être ou pas, il est temps grand temps que vos fameux services « d’accessibilité » normalisent leurs paroles et leur regard à l’égard des personnes handicapées, et quelle que soit la situation. Souvent les mieux placées pour informer sur celles-ci, faites intervenir notre expertise. Ensemble pour un monde meilleur et inclusif.

 

 

Espérant que ce courrier pourra résonner dans les services concernés, je vous remercie de votre attention, et vous prie, Madame, Monsieur, d’agréer mes salutations distinguées.

 

 

 

Félicie Gatinet-Pénau

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