Vous avez dit : Service médical SPECIALISE?
Redoutant les médecins hautement diplômés et y compris ceux qui porte la noble étiquette « Médecin de réadaptation et de rééducation fonctionnelle », censée réconforter mon état ; il n’y pas longtemps, je me rends à l’hôpital pour revoir mon installation au fauteuil. Pour ce premier rendez-vous, j’ai quand même demandé à une auxiliaire de m’accompagner, histoire de substituer ma parole si je ne parvenais pas à me faire comprendre. Mais tout se passe bien. La praticienne est compétente et reste suffisamment à l’écoute. Prochain rendez-vous fixé dans trois mois. Le siège moulé – quel terme affreux pour désigner une coquille qui épouse la posture « idéale » du corps – devra attendre. Et si à la base, je n’en suis pas fan, je dois bien avouer que ce « confort » est important car il permet de limiter les douleurs et les déformations, donc de contribuer à un meilleur quotidien.
Jour-J. je me suis levée à l’aube pour être au rendez-vous trois heures après. Pourtant ce n’est pas loin mais quand on dépend des autres, tout prend davantage de temps.
J’attends beaucoup de cette deuxième consultation. J’ai fait ma petite liste apprise par cœur parmi d’autre. Il ne faut rien que j’oublie. Seule, je suis légèrement à l’avance et m’installe sur l’espace d’attente qui m’est offert. La quarantaine, jeans et baskets compensées, elle arrive. Raisonnablement tendue, je fais mine de ne pas la voir. J’ai toujours trouvé gênant d’attendre quelqu’un qui soudainement débarque et qui n’est pas encore prêt à vous serrer la pince. Au lieu d’être un chien alléché, j’aurais pu coller mon portable à mon oreille et faire semblant de converser mais nous sommes en zone stricte ici. Dans le bureau « secrétaire » du fond, Madame raconte d’une voix aussi nasillarde que stridente, sa dernière anecdote à ses collègues. J’avais oublié que ça pouvait être l’éclate à l’hosto !
Après vingt minutes de retard, va-t-elle se décider à venir à ma rencontre ? Sa secrétaire l’interrompt : « Je voulais dire : votre patiente avait une vidéo à vous montrer mais je lui ai dit qu’à l’hôpital, beaucoup d’accès étaient bloqués. . . » « Bah oui, ici tout est bloqué ! » La doctoresse s’est enfin retournée vers moi. Mais sans bonjour, ni excuses. Une dame la rejoint. Pas la moindre présentation non plus. J’imagine que c’est la prothésiste. Après tout, je suis là pour ça. Pour rencontrer THE prothésiste qui emboîte le pas. Je la suis, puis la dépasse d’un chouia, évitant pour l’instant, toute tentative de contact. Si ma mémoire est bonne « c'est par ici ». Mon sens de l’orientation suffit-il pour qu’elle apercevoir une lueur de lucidité ? Contrairement à ce qu’il pourrait être pensé, dans ces services « pro-handicap-actifs », les gens à mouvements anormaux sont, semble t-il, souvent considérés avec une case en moins. Une grosse case en moins !
Toutes trois posées, j’appuie de nouveau, avec une légère tension dans la voix, sur les deux syllabes que forme le « bonjour ». Pas de réponse. C’est vendredi c’est ça ?
« Bon, nous sommes ici pour parler de la confection d’un siège moulé. » Lance la chef. Ma posture est alors observée, scrutée, comme ci, comme ça. Il faudrait donc la corriger comme ci, comme ça. J’ai comme l’impression de poser pour un catalogue sur mesure. Et puis, je ne vais pas leur faciliter pas la tâche, renouvelant ma demande de la première fois : acquérir un plus petit fauteuil roulant. Un de ceux que j’ai pratiqué durant des années. Immédiatement, l’ergothérapeute du service est appelé sur le champ. Dois-je croire qu’elle saura la plus à même pour répondre à mes besoins ? Au fait, cette professionnelle n’aura pas d’autre choix que de poser un argumentaire pour justifier auprès d’organismes « d’aide financière », l’importance pour moi d’obtenir un nouveau matériel. C’est comme ça. Elle ne me connaît pas mais en deux minutes, mon cas lui est présenté. « En plus, Mademoiselle travaille avec un professionnel du sport, nous devrions en prendre de la graine. . . » Celle-là, il ne fallait pas l’oublier. Ironie ou sincérité ? Tout compte fait, ma vidéo restera bien au chaud. C’est marrant, je me sens expédiée mais j’ai tout de même deux petites choses à rajouter. « Quoi ? » Me dit la chef d’un œil brusquement arquant. « Je croyais que vous ne vouliez pas voir de neurologue ? » Et moi, je croyais que nous devions en reparler ?
Alors que les dernières mesures anthropométriques se prennent, elle passe le pas de la porte. Dans le hall, les au-revoir s’équilibrent avec les salutations du départ. En l’espace d’un instant, la prothésiste s’exclame auprès du patient suivant : « Eh salut, tu vas bien ? » Peut-être, la prochaine fois, serais-je accueillie de la sorte ?