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Vous dites charge mentale? Je vous répond!

30 Juillet 2020, 15:20pm

Publié par Féli-icie

 
Burn-out, épuisement professionnel, charge mentale ? Tous ces termes sont en général employés pour des personnes dites « valides » donc forcément « normales » et à la vie bien active. Qui dit « vie active » dit forcément managers, salariés, salariée et mère de famille, ou encore, chef(fe) d’entreprise et chef(fe) de famille. Bref.
 
Et si je vous parlais de vie active et de charge mentale lorsqu’on est femme en Situation de handicap, trente-cinq ans, dépendante à 80% des gestes de la vie quotidienne, toujours célibataire, sans emploi, mais autodéterminée et 100% autonome.
 
Ah l’autonomie ! ? J’en parle beaucoup par brides mais au fond, suis-je vraiment comprise sur cette notion ? Je n’en suis pas si certaine. A 80% dépendante mais à 100% autonome, j’entends que l’adéquation puisse poser encore quelques questions. Alors aujourd’hui, je vais tenter d’être plus concrète en vous partageant mon ressenti sur la vie active que je mène et sur la charge mentale que celle-ci m’occasionne. A travers ces mots, je ne parlerai pas au nom des personnes handicapées physique – je n’aime pas les généralités -, mais je penserai fort à elles qui pour beaucoup, vivent cette réalité. Parce qu’aujourd’hui, j’en ai marre qu’on associe le travail à la notion de salaire, de rentabilité, ou encore, de contribution à la société. Parce qu’aujourd’hui, il est peut-être temps que j’arrête de culpabiliser pour trois sous et pour une histoire de normes.
 
Oui, pendant longtemps, je culpabilisais de ne pas être dans le monde du travail COMME tout le monde et, disons-le franchement, de recevoir des allocations de l’état « sans rien faire ». Et puis, récemment, une copine, elle-même en grande dépendance physique et qui a suivi la même formation à l’autonomie* à l’institut du Mai de Chinon, sembla avoir déjà éprouvé le même genre de sentiments. Elle m’a donc fait réaliser, que certes, nous étions sans travail, à proprement parlé, mais que notre quotidien lui-même était un travail. Nous avons effectivement bataillé pour devenir autonome mais évidemment, sans aucun diplôme en retour. Alors quand on débarque dans cette société plutôt en grande méfiance envers les personnes handicapées, et qu’on exclame notre « parfaite » gestion du quotidien, et ce malgré nos mille et une incapacités motrices, la défiance est encore plus grande. Il nous faut donc doubler nos preuves pour réussir à être reconnue en tant que véritables « pilotes de ligne », et non plus que « légumes ». Osons dire ce que certaines personnes pensent probablement tout bas, mais osons aussi remettre la réalité à sa place.
 
Une réalité qui dérange ?
 
Oui, mon quotidien est une charge mentale quasi-permanente, voire permanente tout court. Comme je l’exprimais plus haut, il y a 80% de gestes que je ne peux faire seule ou très difficilement. De la décision à l’accomplissement de ces gestes substitués, je pourrai très bien tout laisser faire à mes aidantes et ne me soucier de rien. Si ce n’est le fait d’être nourrie, lavée, habillée, maquillée. Une grande solution de facilité selon moi. Un non-désir de se prendre en charge et un refus d’être pleinement responsable. Bref, ce n’est pas comme ça que je vois les choses et surtout ce n’est pas comme ça que je forme ma vie !
 
Du matin au soir, et parfois même du soir au matin, je planifie, j’organise, j’anticipe les tâches à effectuer pour moi, et chez moi. Et me situant dans la catégorie des gens plutôt minutieux, je peux vous dire que je suis assez « chiante » - ça beaucoup le savait déjà ^^ ! - sur la manière dont on fait les choses dont on fait pour moi, chez moi, et avec moi. Même si au fil des années, j’ai dû, plus ou moins par la force des choses, apprendre à lâcher du lest. Imaginez-vous un seul instant être privé de vos fonctions motrices et de devoir faire appel à quelqu’un pour vous aider. Tous les gestes qu’il effectue pour vous et espérons, au plus près de vos souhaits, vous les dessinez mentalement à la pointe de vos désirs. Mais il est évident qu’entre ce que vous pensez, désirez, et ce que l’autre fait, il y a un fossé, parfois un précipice, d’autres fois, une cascade. Loin de vouloir me victimiser, ni même vous culpabiliser, j’essaye simplement d’attirer les consciences sur le fonctionnement de pensée que peut avoir une personne vivant avec un handicap physique.
 
Pour « faire faire », j’ai dû apprendre à demander. Apprendre sans vraiment apprendre d’ailleurs. « S’il vous plaît. Merci. Merci beaucoup. Si ça ne vous dérange pas. C’est très gentil à vous. Ça va ? Ce n’est pas trop dur ? ... . » Ces formules je dois les répéter une trentaine de fois sur une matinée. Il paraît que j’ai été élevée comme ça. Mais étant dépendante de quelqu’un pour la plupart des gestes du quotidien, et même si j’y travaille, je me sens presque continuellement redevable. Redevable au point de me soucier régulièrement du bien-être de mon aidant. Et pour tout vous dire, parfois, pour ne pas dire souvent, je me demande bien qui aide qui. Bien sûr, tout est relatif, j’ai de superbes relations à doubles sens, basées sur une écoute et une empathie mutuelle. Cependant, celles-ci restent rares. Bien sûr, mes demandes poliment formulées ainsi que la bienveillance que je m’évertue à préserver dans la relation avec mes aidantes, sont sincères et naturelles. Mais parfois, c’est trop, je le sais.
 
Parfois, j’aurai juste envie qu’on vienne faire ce qu’il y a faire et c’est tout, point barre. Je dis ça mais celles qui ne sont pas du tout dans le relationnel – et il y en a ! -, me déstabilisent aussi ! Alors avec celles avec qui le courant passent plus ou moins, les jours où j’ai envie de dire « Merde » ; où je n’ai pas la patience d’être avenante, où je n’ai pas envie de répondre à leurs questions maladroitement posées ; où j’ai juste de répondre du tac au tac, de répondre ce qui me vient à l’esprit au rythme de mon humeur fatiguée et irritable ; et où leurs manières de faire me tendent, là elles ne comprennent pas. Certaines me font comprendre que je suis difficile – combien de fois ce qualificatif ne m’a pas collé à la peau ? - ; d’autres m’expriment clairement que ce n’est pas facile de communiquer et qu’on marche sur des œufs avec moi ! Il faudrait, semble-t-il être toujours linéaire, dans une relation si complexe où intimité et professionnalisme se mêlent. Quant à elles, se disent bienveillantes ; elles, mettent leurs problèmes de côté, sont toujours avenantes. . . Une nouvelle fois, elles semblent confondre ma situation avec la leur. A travers leurs gestes et leur travail, bien sûr, qu’elles le sont, pour la plupart, bienveillantes. Comble ou pas, je m’égare, pardon. Ça doit être encore frais. Ou bien chaud. A votre convenance !
 
L’adaptation ne s’arrête pas là. En dix ans de domicile, j’ai ouvert les portes de mon intimité à deux cents auxiliaires environ. Evidemment, du caractère à la façon de travailler, en passant par la manière de m’aborder, elles sont toutes différentes, voire très différentes, les unes des autres. Alors que je devrai me soucier uniquement de ce qu’il y a à faire pour moi et chez moi, je passe encore du temps à penser les tâches en fonction de chacune. Et encore. Cadence, Rythme, qualité de travail, humeurs – des deux côtés, je l’accorde -, conversations qui s’éternisent – plutôt côté unilatéral -, il n’est pas rare que je ne parvienne pas aux fins que j’avais prévu. C’est reparti pour de nouveau penser le lendemain, le surlendemain, le sur surlendemain. Quand elles partent de chez moi, à midi en général, j’ai l’impression d’avoir fait les trois quarts de ma journée. Demander, vérifier, « faire-faire », laisser faire, s’adapter, confier son intimité à la cadence de ses désirs, tout cela prend un temps et une énergie considérable.
 
Question de chance ou pas, j’apprécie mes après-midis et mes soirées sans aide, mais à quel prix ? Ceux qui me connaissent suffisamment, savent bien que tous les gestes qui me reviennent, aussi banales soient-ils, relèvent d’une séance de sport, « mini » mais intense ! Au-delà, je dois encore planifier, organiser, prévoir, justifier... Si je souhaite me déplacer en dehors de ma ville, je dois faire une demande de Transport adapté au minimum quarante-huit à l’avance. Pas d’imprévus possibles quand on est handi. Si je rencontre, pour exemple, un nouveau professionnel de santé, je dois non seulement me soucier du fait s’il peut (accessibilité des lieux) et s’il veut bien m’accueillir (au regard de ma situation de handicap) mais aussi, rassurer ma condition, mouvementée mais crédible, par écrit – eh oui, sur ce point, je peine encore à m’imposer d’emblée. Si je dois renouveler mes droits, je dois justifier qu’aucun miracle n’est encore tomber sur ma situation de handicap. Si je me rends dans un Simple magasin, je dois expulser ma meilleure élocution qui soit, si puis-je dire ; ou bien dorénavant masquée, donc rapidement à bout De souffle, je dois textoter tout ce que je veux dévaliser, et tendre, au rythme de tremblements, mon portable à l’interlocuteur qui parfois ne me pète pas un mot. A ce sujet, je dois en constiper plus d’un. Oups.
 
Une fois que j’ai pensé et construit ma vie, je peux enfin me consacrer à mes projets, sans rémunération mais tout aussi valorisant, et j’espère quelques peu contributeurs à l’évolution de la société : écriture, sensibilisations au handicap, « formations » diverses et variées. . . J’essaye aussi de passer du bon temps, et vous me croirez ou non, mes proches m’y poussent ! Parce-que oui, je culpabilise Facilement ! Je culpabilise parce-que lorsqu’on est porteur de handicap, tout prend cinq fois plus de temps , voire plus. Je culpabilise parce-que selon moi, je n’en fais jamais assez, et ce que je fais ne vaut pas une vie professionnelle. Et pourtant, lorsque je suis clouée au lit une à deux fois par mois, lorsque je suis brouillon, donc que je n'arrive à rien, je culpabilise encore. Parce-que, j’ai besoin de besoin de me sentir vivante ; j’ai besoin d’accomplissement, de création ; j’ai besoin de mettre ma vie au carré comme un éternel besoin d’exister, de vivre à juste titre !
 
* L'autonomie ne se lit pas dans le mouvement, mais "s'actionne" à travers le mental
 
Félicie Gatinet-Pénau, le 27/07/20

 

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J
Super texte qui reflète bien la réalité effectivement, c est le ressenti de bcp d entre vous qui sont passés au mai avec qui j ai des contacts....bises Barbara
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F
Merci beaucoup Barbara pour ce gentil message! J'espère que tu vas bien. Bien à toii!